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Je rencontre Moly alors que je m’assois totalement au hasard dans un petit restaurant de fortune devant le temple de Bakheng. Un Khmer d’une quarantaine d’années prend ma commande de nouilles sautées, Moly le suit avec ses boissons. Elle s’assoit ensuite en face de moi, sur ma toute petite table, et nous commençons a discuter.
Les cheveux coupés au carré, de petits yeux rieurs sépares d’un nez fin, Moly m’inspire immédiatement une grande sympathie. D’un français haché mais excellent, elle me parle de son travail, de sa vie à Siem Reap, dont elle est originaire, et bien sûr des préparatifs du nouvel an khmer!
Moly se partage entre son travail de cuisinière à l’école d’hôtellerie Paul Dubrulle la semaine et son petit stand de boissons et snacks à Ankgor le week end et les vacances, qu’elle occupe depuis 10 ans. Pas de répit donc pour ce petit bout de femme de 55 ans, ni pour son mari, Sari, un petit homme fort au teint très mat, chauffeur de touk-touk. Le stand à Ankgor ne lui rapporte pas grand chose me dit-elle, d’autant qu’elle doit débourser 25 $ par mois pour l’emplacement, entre la police et les autorités Aspara qui gèrent le site. En revanche, son travail au sein de l’école lui rapporte 150 $ par mois, un salaire qu’elle a vu triplé depuis ses débuts, il y a 5 ans. Une situation qu’elle qualifie de « bonne » et qui lui a permis de fournir une éducation à ses 3 enfants. Sa fille aînée est pharmacienne à Phnom Penh, elle apprend le français à l’Alliance Française mais ses maigres 140$ par mois ne lui permettent pas de rentrer souvent voir ses parents à Siem Reap. Ses 2 autres enfants font encore leurs études, l’une dans la banque, l’autre dans le commerce.

Moly n’a elle-même pas pu terminer son éducation, elle a du, « après Pol Pot », chercher du travail, même très mal payé, pour subvenir à ses besoins.
Originaire d’une famille de 9 enfants, 5 garçons et 4 filles, et a perdu son père, qui était professeur, 4 de ses frères et une de ses soeurs, pendant le régime de terreur des Khmers Rouges. Agée d’à peine 18 ans, elle fut envoyée à la campagne, très loin au nord du pays, avec une de ses soeurs et sa mère, cultiver du riz.
« Nous étions en bonne santé et venant de la ville et d’un père professeur « intellectuel », nous avions plus de travail que les autres, ma soeur et moi devions délivrer 1 mètre cube de riz (en saison) par jour, et quand la saison du riz était passée, nous devions ramasser des plants ou de la terre, pendant 3 ans. Nous avons eu de la chance car nous sommes restées en vie. »
Moly parle de « l’avant Pol Pot » et de « l’après Pol Pot » car pendant, il n’y avait rien, hormis de la souffrance. Pas d’éducation, de droits, de liberté. Elle me décrit ses travaux asservissant à la campagne, avec le sourire, même si je sais que ce sourire cache une grande peine.
Aujourd’hui, elle est « contente », heureuse que cette sombre partie de leur histoire fasse partie du passé, heureuse d’avoir une famille éduquée et en bonne santé. Elle a également fait le deuil de ses proches disparus.
Elle et son mari ont forcé tous ses enfants à apprendre le français, bien que de puis Pol Pot, la langue de Molière ne soit plus enseignée à l’école.
« C’est très important pour leur avenir », me dit-elle.

Elle attend avec impatience les festivités du nouvel an qui commençait le soir du 13: un grand diner familial est prévu en compagnie de sa mère de 83 ans, dont elle s’occupe, une de ses soeurs et son frère. Sa soeur, plus aisée, fournit toute la nourriture tandis que Moly s’occupe de tout préparer.

Quand je lui demande ce qu’elle ferait avec beaucoup d’argent, elle me répond sans hésiter: « J’achèterais une pharmacie pour ma fille, qu’elle ne soit plus obligée de travailler pour quelqu’un! »

Nous avons échangé pendant près de 2 heures, elle parlait, agitant ses grands doigts fins dans tous les sens, riait à chaque fin de phrase; quelques fois, elle suspendait sa phrase et se levait précipitamment servir d’autres clients, pour revenir ensuite s’assoir en face de moi reprendre où elle s’était arrêtée.
Peu de Khmers parlent de Pol Pot, l’histoire est encore très fraiche et ils ont tous été touché de près ou de loin par cette terreur. Moly force l’admiration et derrière son visage rond se cache une force de caractère incroyable.

Je m’arrêtais ensuite la voir tous les jours, en vélo sur ma route pour Angkor Thom, prendre une boisson et papoter un petit quart d’heure, avant de reprendre ma route.
Sari, son mari, quand il était en pause, venait me saluer et me prenait une main qu’il secouait énergiquement, accompagné de son plus beau sourire. A chaque fois, Moly et lui me remerciaient chaleureusement d’être passée, je les remerciais en retour de leur hospitalité, ils me hélaient « à bientôt » jusqu’à me voir disparaitre au loin sur mon vélo.

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